Le salarié doit exécuter personnellement, consciencieusement et loyalement sa prestation de travail. Cela implique notamment qu’il soit présent à son poste de travail.
Définition de l’abandon de poste.
L’abandon de poste n’est défini par aucun texte législatif ou réglementaire. L’analyse du contentieux permet de retenir qu’il est généralement invoqué et nommé comme tel lorsque le salarié quitte son poste de travail sans explication et sans raison apparente ou légitime, ou brutalement après une altercation ou encore dans le cadre d’un désaccord.
Cette analyse révèle également que le fait pour un salarié de quitter son poste sans autorisation en raison de son état de santé afin de consulter un médecin ne constitue pas une faute. Il en va de même lorsque l’abandon de poste trouve son origine dans un manquement de l’employeur à ses obligations.
L’absence non autorisée et non justifiée est une notion voisine. Elle vise notamment le cas du salarié qui s’absente durant ses heures de travail en mettant l’employeur devant le fait accompli, ou encore qui s’abstient de reprendre le travail à la fin d’un arrêt maladie alors qu’il a été déclaré apte par le médecin du travail ou à l’issue de ses congés payés, d’un congé parental d’éducation, etc.
L’abandon de poste et l’absence injustifiée sont constitutifs de manquements du salarié à ses obligations contractuelles. À ce titre, ils sont susceptibles d’être sanctionnés par l’employeur.
Conséquences de l’abandon de poste.
Confronté à l’abandon de poste ou à l’absence injustifiée de l’un de ses salariés, l’employeur est fondé à lui adresser une mise en demeure de justifier son absence, au moins 48 heures après le début de l’absence, par lettre recommandée avec AR (la convention collective peut prévoir un délai de justification supérieur à 48 heures, il convient alors de s’y conformer).
Si le salarié ne répond pas et ne reprend pas le travail, l’employeur lui adresse généralement une seconde mise en demeure.
Jusqu’à présent, l’employeur ne pouvait jamais considérer un salarié comme démissionnaire, même s’il avait abandonné son poste de travail et n’avait pas répondu à ses mises en demeure.
En effet, selon une jurisprudence constante, la démission nécessite une volonté claire et non équivoque de rompre le contrat de travail. L’employeur n’avait donc pas d’autre choix, s’il souhaitait rompre le contrat de travail, que celui d’engager une procédure de licenciement, le plus souvent pour faute grave (laquelle prive le salarié d’indemnité de licenciement et de préavis, mais ouvre droit à l’allocation de retour à l’emploi – ARE).
Selon Marc Ferracci, rapporteur du projet de loi Marché du travail à l’Assemblée nationale, les employeurs et les organisations patronales ont fait valoir le caractère fréquent des abandons de poste réalisés par des salariés souhaitant mettre un terme à leur contrat de travail, tout en étant indemnisés par l’assurance chômage.
Force est de constater que l’abandon de poste et l’absence injustifiée sont des techniques fréquemment utilisées par certains salariés, notamment lorsque leur employeur refuse la rupture conventionnelle ou encore pour s’affranchir de leur préavis.
En réponse à ce phénomène, la loi Marché du travail du 21 décembre 2022 remet en cause le principe selon lequel la démission implique une manifestation de volonté claire et non équivoque, en instaurant une « présomption de démission », en cas d’abandon de poste du salarié.
La présomption de démission instaurée par la loi Marché du travail.
Définitivement adoptée le 17 novembre 2022, la loi portant mesures d’urgences relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein-emploi est parue au Journal Officiel du 22 décembre 2022, après sa validation par le Conseil constitutionnel.
L’article L. 1237-1-1 du Code du travail issu de cette loi crée une présomption de démission, qui s’applique au salarié ayant abandonné volontairement son poste et ne reprenant pas le travail, après avoir été mis en demeure par son employeur de justifier son absence et de reprendre le travail, dans un délai fixé par l’employeur.
La mise en demeure doit prendre la forme d’une lettre recommandée ou d’une lettre remise en main propre contre décharge. En pratique, il s’agira le plus souvent d’une lettre recommandée, le salarié ne se présentant plus au travail…
Quant au délai fixé par l’employeur pour que le salarié justifie son absence et reprenne le travail, il ne doit pas être inférieur à un minimum fixé par décret en Conseil d’État (décret à paraître).
Le salarié ne reprenant pas le travail dans le délai ainsi imparti est présumé démissionnaire.
La date d’expiration de ce délai constitue la date de rupture du contrat de travail et le point de départ du préavis de démission du salarié (qui sera vraisemblablement inexécuté, et donc non rémunéré). Au terme du préavis, l’employeur devra effectuer les formalités de fin de contrat (solde de tout compte, certificat de travail, attestation Pôle emploi, etc.).
Ce mode de rupture n’ouvre pas droit à l’allocation de retour à l’emploi (ARE).
Il est à noter qu’il s’agit d’une présomption simple. Par conséquent, le salarié présumé démissionnaire, à l’issue de la procédure exposée ci-avant, peut contester la rupture de son contrat de travail devant le conseil de prud’hommes, qui se prononcera sur la nature de la rupture et ses conséquences.
En effet, l’application de cette présomption est subordonnée au caractère volontaire de l’abandon de poste ; si l’ancien salarié établit que son abandon de poste est contraint et résulte en réalité d’un comportement fautif de son employeur (par exemple le non-paiement de salaires ou d’heures supplémentaires, la suppression injustifiée d’un avantage en nature, la modification du contrat de travail sans l’accord du salarié, etc.), la rupture sera requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse, entraînant la condamnation de l’employeur au paiement d’une indemnité de licenciement, d’une indemnité compensatrice de préavis et de dommages-intérêts.
Si le salarié établit que le manquement de l’employeur à l’origine de son abandon de poste est de nature discriminatoire ou constitutif de harcèlement moral ou sexuel ou encore d’une violation d’une liberté fondamentale, alors le risque est celui de la nullité du licenciement.
Il s’agit d’une procédure accélérée, portée directement devant le bureau de jugement du conseil de prud’hommes, lequel doit statuer au fond sur la demande du salarié dans un délai d’un mois.
Ce texte pose un certain nombre de questions.
En premier lieu, comment interpréter l’article L. 1237-1-1 du Code du travail, qui fait référence au salarié ayant volontairement abandonné son poste ?
Faut-il retenir une interprétation large de la notion d’abandon de poste, englobant non seulement les situations jusqu’alors qualifiées d’abandon de poste, mais également les situations voisines relevant davantage de l’absence injustifiée, ou au contraire une interprétation restrictive ?
Dans l’attente de l’interprétation des tribunaux, il semble prudent de retenir une vision étroite de la notion d’abandon de poste.
En second lieu, cette présomption de démission peut-elle s’appliquer aux salariés protégés (élus au CSE, délégués syndicaux, etc.) ? On peut légitimement en douter, de sorte qu’il est tout à fait déconseillé, compte tenu du risque contentieux encouru, d’appliquer cette présomption de démission aux salariés protégés, tant que le doute ne sera pas levé.
La prudence s’impose donc, notamment s’il existe en amont de l’abandon de poste une situation conflictuelle ou susceptible de l’être, étant rappelé que la présomption de démission ne pourra être mise en œuvre que lorsque le décret précisant ses modalités d’application sera paru.
Par Me Karine Pellissier, avocate au Barreau de Grenoble.